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Ma fille, ma chérie

Writer's picture: Maeva DoumbiaMaeva Doumbia

3h25. Deux heures environ après mon arrivée à l’hôpital, Jade est née. J’ai à peine eu le temps de la toucher que sages-femmes et puéricultrices se sont emparées d’elle, afin de la nettoyer et de lui faire son premier examen médical. Tandis que l’obstétricien s’occupait de moi, je lui posais une pluie de questions, et lui, de son air sévère mais paternel, me donnait mille recommandations.


A son expression détachée, il paraissait habitué à délivrer de jeunes adolescentes, et toutes, si j’en crois sa spontanéité à répondre, avaient les mêmes angoisses. Angèle, l’infirmière qui l’assistait était moins courtoise. On aurait dit qu’elle m’en voulait d’être là. Avait-elle des enfants, et comparait-elle leur candeur à ma prétendue frivolité ? Ou était-elle incapable d’en avoir et maudissait le sort qui l’accordait à des gens comme moi ? Il fallait que j’arrête de me tourmenter, je ne connaissais rien de sa vie, et elle de la mienne. De plus, je commençais à avoir une accélération du pouls, le médecin me conseilla le repos.


4h17. L’une des sages-femmes entra dans la salle portant Jade dans ses bras. J’avais peu de forces et dû faire un énorme effort pour la porter sur ma poitrine. Je découvris mon sein droit. Instinctivement, elle chercha le téton de ses minuscules lèvres. Sa présence contre moi me fit me sentir en sécurité ; moi qui étais sensée la protéger. J’avais peur d’affronter le monde, ses moqueries, ses jugements, mais la sentir si près et si dépendante, me revigora d’espoir et de courage. Mathilde, la puéricultrice la fit roter, et la posa à nouveau sur ma poitrine.


A présent, toutes seules dans la chambre, j’observais ma Jade. Un tout petit bout, toute frêle et rose comme une crevette. Mes bras l’enveloppaient et j’humais son odeur corporelle. Je posais mes lèvres sur son crâne tiède. J’ouvrais les yeux, et je la contemplais. Je la contemplais et me rappelais ma mère. Maman, comme le reste de la famille, a été sidérée d’apprendre ma grossesse. Après avoir perdu Benjamin, j’étais devenue encore plus chère à ses yeux. Que d’attentions et de conseils ne m’a-t-elle prodigué ! Elle était dévastée. Oncle Jonas l’avait encore accusée d’être la source des malheurs de la famille. Elle m’a dévisagée d’un regard que jamais je n’oublierai. Elle était anéantie, mais jamais je ne l’ai sentie aussi proche de moi. Chaque nouvelle étape de la grossesse en rajoutait à ses attentions et son dévouement. Maman a été là, comme au premier jour de ma naissance. Elle était là comme lors de mes premiers pas, comme lors de mes nombreuses hospitalisations.


Je n’oublierai jamais ces jours de pluie, après nos gambades et nos cabrioles, où elle nous faisait prendre une douche tiède à Benjamin et moi. Ses mains fortes et douces nous embaumaient de cette pommade dont je me rappelle encore le parfum. Jamais je n’oublierai ses cris de joie à la réussite de nos examens, et ses mots si sincères d’encouragement lors des mauvaises périodes. Je me rappelle de ses sanglots les nuits, et de son sourire radieux les matins, cachant sa détresse après le départ de papa. Comme elle a été forte ! Sans cris, sans lui montrer aucune sorte de faiblesse, je l’ai regardée le laisser partir rejoindre sa maitresse, alors qu’elle tenait Ben dans les bras.


5h35. Jade dort paisiblement. Angèle l’antipathique vient s’assurer que tout va bien. J’ai la poitrine lourde, mais je tiens y à garder mon bébé. Je m’ajuste et lui fait changer de position. L’antipathique s’éclipse et je retourne à mes pensées. Maman. Maman a passé les douze dernières années à s’échiner au travail pour nous permettre d’avoir une vie décente et faire de brillantes études. Ben l’avait compris et en est mort. Le bus qui devait le conduire à son concours de mathématiques n’est jamais arrivé à bon port. Un jour pluvieux comme celui où papa est parti. J’ai vu maman maigrir d’affliction. N’eut été ma présence, elle se serait laissée mourir de douleur. Le décès de Benjamin fut un supplice. Elle ne s’en est jamais remise, et a déporté toute l’affection qu’elle lui portait à mon égard.


J’étais comblée d’amour et d’attentions. Mais il m’en fallait davantage. Tandis que maman se consolait dans mes bras, je trouvais le repos dans ceux d’Alexandre. Du vivant de Ben, j’aurais donné cher pour le voir disparaître de la surface de la terre. Je le trouvais puéril, arrogant, ignorant et mal élevé. Ce qui contrastait avec son visage d’apollon. Ben était son meilleur ami, et le vide qu’a causé son décès nous a rapprochés. Mon malheur m’a fait oublier mon aversion à son égard. Ses bras, trop grands pour son âge, étaient là au moment où j’en avais le plus besoin. Je m’y suis reposée. Peut-être plus qu’il ne le fallait. J’ai quitté ses bras pour les lèvres qu’il m’offrait. Et quand il me serra contre lui tandis que j’avais la tête à la renverse, je n’eus qu’à fermer les yeux pour lui envoyer le signal que mon être entier lui appartenait. Je savais que cela finirait par arriver. Mais je m’imaginais alors mariée ; et surtout pas à un homme du même âge que mon frère cadet.


Maman a pleuré. Alexandre s’est rebiffé. Je portais Jade et je n’avais aucunement l’intention de m’en séparer. Autant que je m’en souvienne, maman n’a jamais failli ses devoirs à mon égard. Je n’ai jamais manqué de ses conseils, de son soutien et ses encouragements. Mes chagrins lui brisaient le cœur, et mes joies étaient les siennes. Je noyais mes peines dans son amour et je puisais ma force de la sienne. C’est tout cela et bien encore, que j’envisage offrir à ma Jade. Mais je n’en aurai pas le temps.


En voyant l’équipe médicale s’affairer autour de mon bébé, et maman à genoux en pleurs, les mains sur la tête ; j’ai la ferme conviction que mon amour pour Jade ne sera rien comparé à ce dont l’inondera maman.


7h47, on vient d’annoncer mon décès.




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1 Comment


ibalassanetoure
Nov 26, 2020

Mais........ tu l'as tué pourquoi....


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