La hardiesse du soleil ce jour là était insoutenable. Il cognait dur sur les crânes chauves et faisait couler les gels des coiffures élaborées. Je suais incontrôlablement malgré ma voiture climatisée et devais tout de même endurer les jérémiades de la mariée excédée. Je la comprenais pourtant.
Au trac naturel du mariage s’ajoutaient les protocoles interminables des mariages malinkés. Il fallait s’accroupir devant des oncles inconnus et écouter des conseils qui ressemblaient plus à une sentence de mort qu’à des encouragements pour un nouveau chapitre de sa vie. Il fallait afficher un calme presque stoïque sous la chaleur de vêtements inconfortables. Il fallait enfin s’asseoir pendant des heures et écouter les cris et radotages des griottes, moyennant des louanges à des tantes souvent inconnues.
Nous en étions à cette étape de la cérémonie lorsque j’ai remarqué les légères secousses des épaules de la mariée. Elle pleurait. J’ignore s’il s’agissait de pleurs de joie, de fatigue ou d’anxiété, mais elle pleurait. Je la comprenais pourtant.
Quelques années plus tôt, j’étais à sa place. Mes pleurs ce jour-là étaient un mélange déséquilibré de toutes ces émotions. J’étais heureuse d’être enfin une mariée. J’épousais un homme que j’aimais et mon mariage allait enfin fermer la bouche des indiscrètes qui caquetaient dans mon dos qu’une vielle fille de mon acabit ne trouverait jamais personne. J’étais morte de fatigue après avoir enduré les interminables protocoles du mariage et les frustrations qu’ils génèrent. J’étais terriblement anxieuse. Je commençais un nouveau chapitre avec des personnages qui allaient tour à tour durablement impacter le reste de ma vie.
De loin, je regardais la mariée du jour couverte d’un drap blanc et comptant certainement avec frénésie les heures qui la séparaient d’un moment de calme près de son mari. Je regardais les femmes se faire des œillades, des taquineries ou discuter de commerce, d’argent, et de leurs enfants. Je regardais les enfants aller et venir dans leurs vêtements salis à force de jouer et de manger de façon maladroite. Je regardais ce beau monde, mais de loin. Un peu comme j’ai toujours été traitée depuis mon arrivée dans cette famille.
Mon mariage a fait beaucoup de bruit. Entre ceux qui m’offrirent tout de suite leur sympathie réservée et d’autres qui me montrèrent immédiatement leur antipathie ou leur méfiance à mon égard. Je voulais bien sûr faire une bonne impression à tous, mais je ne m’en sentais pas l’obligation. Ton amour et ton réconfort me rassuraient et me donnaient toute la force nécessaire pour naviguer dans ces eaux troubles.
Seulement, quand deux ans plus tard mon ventre ne s’arrondissait toujours pas, ton sourire bienveillant est devenu dur ; et ta poitrine autrefois chaude est devenue froide et indisposée à m’accueillir. J’ai été voir autant de spécialistes que le ciel comporte d’étoiles. J’ai bu myriade de potions et ai passé des mois à jeûner et à faire des prières nocturnes et diurnes, j’ai voyagé pour chercher de l’aide ailleurs mais mon ventre demeurait aussi vide que l’intérieur d’un tambour.
Les mauvaises langues se déliaient maintenant avec passion et les soutiens d’hier peu à peu se dispersaient en différentes factions. Ta présence à la maison se faisait de plus en plus rare et lorsque tu rentrais là, c’est à peine si on la remarquait. Toi qui détestais travailler à la maison, tu rapportais du travail des piles de dossier et prétendais y potasser, enfermé dans ton bureau. Je maudis le jour où je suis rentrée dans ce bureau le nettoyer.
Dans le souci de te faire une agréable surprise, j’y suis entrée malgré ton interdiction. Rangeant les dossiers sur ton bureau, je suis tombée sur un qui se démarquait de par sa singularité. J’ignorais que tu avais des talents d’écrivain. Les brouillons des lettres que tu as avais écrites et que tu lui avais certainement envoyé plus tard en ligne étaient d’une beauté et d’une profondeur sans noms. Je n’ai jamais reçu de mots aussi beaux de ta part.
Je ne me fais pas d’illusion. Je savais dans quoi je mettais les pieds en t’épousant et je l’ai accepté de plein gré. Seulement, je ne m’attendais pas à ce que tu discutes de mon état avec ta première femme et que tu lui rapportes chaque détail dégradant de notre vie. Je ne m’attendais pas à trouver dans ces dossiers, des prospectus de processus de fécondation in vitro que tu sembles préparer avec elle et d’autres sur les démarches de visa pour la rejoindre aux États-Unis.
Tout est maintenant plus clair pour moi. Tu m’as épousée pour te donner l’enfant qu’elle a échoué à te donner. Maintenant que je me retrouve dans la même situation, tu retournes rampant vers celle que tu aimes en réalité, espérant coller les morceaux d’un mariage que tu as failli briser.
Je regarde la nouvelle mariée, ta nièce, qui baigne entre espoir et appréhension ; et j’espère que son mariage dont les circonstances ressemblent fort aux miennes, ne connaîtra pas le même dénouement.
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