L’allée qui mène à l’autel est immaculée. Par endroits, de part et d’autre de ce minuscule passage, des pétales de différentes espèces de fleurs sont jetées de façon irrégulière. Les convives, installés et déjà fort émus, tournent leurs têtes à l’unisson pour voir avancer la mariée. À ses côtés, son père transporté de bonheur, peine à dissimuler les émotions qui le traversent. Et pourquoi en serait-il autrement?
Devant l’autel, sur la petite estrade préparée pour l’occasion, attendent tout sourires le maire et le marié. Le port altier et les dents serrées, le futur époux tente de masquer ses émotions. Les convives regardent le couple se prendre la main. Ils s’émeuvent de voir le marié agir avec tant de galanterie et d’attentions soignées envers sa future épouse. Quand enfin le maire les proclame mari et femme, des cris de joie fusent dans l’assemblée. La mère de la mariée, jusque-là emmurée dans un silence total, laisse enfin libre cours aux larmes qui perlaient depuis dans ses yeux. Et pourquoi en serait-il autrement?
Le reste de la cérémonie se déroule dans une ambiance bon enfant. La musique entraînante attire même les plus timides. L’odeur des plats fumants fait sonner et gargouiller les estomacs. Une voix meneuse amplifiée par le micro appelle les convives à prêter attention au discours que veulent tenir les mariés. Les pas de danse s’estompent et les bouchées sont précipitamment avalées. Personne ne veut rien perdre des premiers mots du nouveau couple le plus en vue de la ville.
La mariée est la première à s’exprimer. Elle serre son bouquet de fleurs entre ses mains, visiblement émue. Son discours est sommaire mais concis. Elle remercie ses parents pour leur amour et leurs efforts envers elle depuis sa tendre enfance. Elle remercie ses amies pour leur soutien dans les bons comme les mauvais moments. Elle remercie enfin son mari pour son respect et son sens de l’honneur. Et pourquoi en serait-il autrement?
Le marié prend ensuite la parole et expédie des salutations et remerciements laconiques à l’ensemble des invités. Il prend son épouse par l’épaule et l’embrasse sur le front. Le maître de cérémonie intervient et plaisante sur le discours lapidaire du marié. Il fait ensuite savoir que c’est le moment du lancer du bouquet.
Plusieurs jeunes femmes prennent d’assaut la piste de danse où la mariée se prépare au lancer. Quelques hommes, espérant marquer la soirée par un effet comique décident eux aussi de se prêter au jeu. Après plusieurs blagues déplacées et fort pitoyables du maître du cérémonie, la mariée lance enfin son bouquet et celui-ci atterrit tout droit sur mes cuisses, alors que je suis tranquillement assise à une distance raisonnable de la foule pour éviter de m’y mêler. Et pourquoi en serait-il autrement?
Pourquoi en serait-il autrement? Pourquoi le destin voudrait-il me laisser la chance de retourner chez moi sans me faire remarquer non seulement par l’assemblée en général, mais aussi et surtout par les mariés et leur famille? Pourquoi a-t-il fallu que je cède à la pression et aux supplications de mes amis, et que je vienne assister à cette funeste cérémonie ?
À l’instant où le bouquet se pose dans mon giron, des cris hystériques fusent et cet insupportable maître de cérémonie se sent l’obligation de se faire encore remarquer par un nouveau jeu sorti de son chapeau d’improvisateur. Il m’invite, mon bouquet à la main, à me diriger vers le couple pour recevoir officiellement les bénédictions du mariage. J’avance lentement, devant une mariée crispée et un marié qui a toute la peine du monde à détacher ses yeux du sol et à me regarder droit dans les yeux. Et pourquoi en serait-il autrement?
Pourquoi en serait-il autrement alors que Mustafa le marié était mort de honte ? Il avait joué à cache-cache pendant plusieurs mois avec ses sentiments et les miens. Il me berçait de compliments pompeux et déclamait à demi-mots son amour pour moi. Il faisait un pas vers une déclaration officielle puis faisait dix pas en arrière. Il me retenait quand je décidais de sortir de cette confusion, puis s’éloignait à nouveau. Je me nourrissais de ses compliments et de ses attentions à mon égard. Je m’enlisais dans cet entre-deux dans lequel il laissait mariner mes sentiments et les siens. Je bénissais les jours où il m’encensait de généreux qualitatifs et j’attribuais ses absences à la timidité.
Je me suis laissé baigner dans cette fourberie jusqu’à ce qu’il m’annonce son mariage avec mon amie Binta. Binta, qu’il avait accidentellement engrossée. « Accidentellement », évidemment. Tandis qu’il saluait ma tempérance et ma chasteté, il laissait libre cours à ses appétits libidineux avec une amie que je lui avais présenté.
Pourquoi en serait-il autrement alors que Binta, la mariée, ma fameuse amie, était morte de peur? Je lui avais présenté un homme pour qui j’avais avoué avoir un fort attachement et elle s’était offerte à lui en se parant de mes propres vêtements. Les larmes de sa mère et l’émotion de son père cachaient leur soulagement de voir leur fille mariée avant que la grossesse qu’elle avait avoué porter ne pointe publiquement son nez.
Mes amis m’ont dit que je devais leur montrer ma supériorité d’esprit en venant tout de même au mariage. Ils m’ont dit que je devais m’estimer heureuse d’avoir découvert leurs vrais visages avant que mon idylle ne se concrétise avec Mustafa, mais j’avais mal. Il faisait les éloges d’une femme qu’il qualifiait de parfaite et c’est pourtant à une autre qu’il s’unit aujourd’hui. Je me demandais ce que j’avais raté. Je lui en veux. Je m’en veux. J’en veux aussi à Binta. Elle le sait et elle est morte de peur. Elle craint que j’avoue devant toute cette assemblée que sa grossesse et tous les tests qu’elle a fait pour la prouver sont faux.
Tremblante de peur, elle jette un regard sur sa gauche et fait un signe d’acquiescement. À l’instant où j’arrive enfin devant eux et que je prends le micro sur invitation du maître de cérémonie, un tir se fait entendre. Et pourquoi en serait-il autrement?
Pourquoi le destin me laisserait-il rentrer paisiblement chez moi?
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