Ce soir là encore, je dormis avec le poids qui alourdissait de plus en plus ma poitrine. Je ne comptais plus les heures que je passais à me tourner d’un côté à l’autre du lit afin de trouver enfin le sommeil. Ses mots, ses phrases inachevées s’entremêlaient dans mon esprit, et m’éloignaient de Morphée et de ses pavots soporifiques.
J’avais espéré qu’il me parle enfin durant les vacances de Noël. J’avais guetté chaque occasion pour le voir et l’entendre. En vain, j’ai tenté de couper court aux sous-entendus. Placide, lucide, muet, silencieux…Que dire sinon qu’il est resté maître de lui-même et n’a point prononcé les mots que j’attendais depuis des mois.
La fin des congés sonnait comme le glas de mes espérances et la fin de mes illusions. Je devais quitter Abidjan pour le reste de l’année et jamais Ilyass ne prononça les mots tant espérés.
Mon retour à San-Pédro était des plus mornes. N’eut été ce bac que je voulais décrocher de toute ma force, j’aurais eu du mal à retourner chez ces tuteurs qui ne m’appréciaient que très passablement. Ils avaient beau vouloir sauver les apparences, leurs mots n’étaient que maux. J’en voulais à mes parents qui m’avaient livrée à ces inconnus. Ma présence chez eux comme leur « fille » n’a que peu duré. J’ai vite dégringolé les échelons pour devenir l’indésirable, l’enclume à leurs pieds.
Je prenais ma revanche sur mes maths, et ma philo. Je passais plus de temps à l’école que dans l’enfer qui me servait de chambre. Et puisque l’ornement d’une vie sont les amis qui la comblent, je remplissais le vide de mon cœur avec la bande joyeuse qui formait ma classe.
Salim était le plus réservé. Il habitait à deux pâtés de « ma » maison, et nous faisions chemin ensemble pour le lycée. Par la force des choses, mais surtout parce que mon cœur n’en pouvait plus, je lui fis part de certaines difficultés que je vivais. Il m’a tout de suite mise en confiance, et m’a abreuvée de conseils. J’avais besoin de sa présence pendant le jour, et de sa voix dans la nuit. Sa voix. C’est elle qui me réconfortait entre toutes. Elle était chaude et apaisante. Elle était calme et rieuse. Sa voix. Elle devenait plus intime ; lourde de secrets. C’est dans une harmonie parfaite de toutes ces caractéristiques qu’elle prononça les mots que j’attendais d’un autre.
J’ai quitté San-Pédro le jour suivant ma réussite au bac. J’attendais ce jour avec impatience et ne me fis pas prier pour faire mes adieux aux voisins et amis dès la proclamation des résultats. De cette ville, je ne regrettais que la plage.
A peine arrivée à Abidjan, je cherchai à voir Ilyass. Il m’avait manqué et je tenais à lui raconter chaque détail de mes aventures. Rendez-vous fut donc pris chez moi où il arriva, comme à son habitude, avec des friandises. Nous les mangions ensemble tandis que sans m’arrêter, je débitais des flots de mots.
Je pris enfin une pause pour étancher ma soif, et l’écouter avant de poursuivre. Il sortit une photo de son portefeuille, la regarda, et se mit à parler lentement.
« Il est probable que je me marie bientôt. Je la connais depuis deux ans. J’ai aimé d’autres filles avant elle, mais jamais comme elle. Je n’ai pas trouvé de plus simple, de plus belle, de plus attentionnée qu’elle. C’est son sourire et son caractère que je veux sur chacun des traits de mes futurs enfants. J’ai contenu ma peur de la perdre dans l’espoir qu’en secret, elle aussi m’attendrait. Elle avait une victoire à remporter et j’avais peur que mes propos soient déplacés. Je viens aujourd’hui te la présenter, en espérant que ma patience et mes espoirs ne furent pas vains ».
Je n’avais pas besoin de voir la photo pour comprendre qu’il venait de dire ce que j’attendais depuis tout ce temps.
Mais lorsque mes yeux débordants de larmes la regardèrent enfin, ma gorge et mon cœur se serrèrent de désespoir à l’idée de lui annoncer que Salim viendrait demain se présenter à mes parents.

Comments