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La force des femmes

Writer's picture: Maeva DoumbiaMaeva Doumbia

Updated: Aug 17, 2023

Lorsqu’on parle de crimes de guerre, on pense assez automatiquement aux éléments indiqués dans la Charte de Londres : « Assassinat, mauvais traitements ou déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, assassinat ou mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, exécution des otages, pillages de biens publics ou privés, destruction sans motif des villes et des villages, ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires. » (Wikipédia). Pendant très longtemps, le viol a été omis de cette définition générale des crimes de guerre. Il a fallu attendre 2008 pour qu’il soit considéré comme crime de guerre, crime contre l'humanité et crime constitutif du crime de génocide par la Cour Pénale Internationale. Quand on sait que le viol, même en temps de paix est une cruelle abomination, que dire lorsqu’il est commis en temps de guerre quand tous les instincts pervers et sadiques sont déchaînés. Les femmes sont les premières et forment l’écrasante majorité des victimes de viol en temps de guerre. Pour ajouter le funeste au tragique, les petites filles, certaines à peine sorties des lombes de leurs mères sont elles-aussi victimes de cet acte barbare. Je vous parle de viols et de crimes de guerre aujourd’hui pour vous parler du livre du Dr Denis Mukwege, « La force des femmes ». Ce livre a été le plus difficile qu’il m’ait été donné de lire. Non pas à cause du vocabulaire ou du manque d’intérêt, mais à cause de la difficulté à maîtriser mes émotions, en passant de la colère à l’extrême compassion ou de la tristesse à la pulsion de la soif de justice et de réparations.


Lire la Force des femmes c’est se rendre compte une fois de plus, une fois de trop, une fois de trop près, que les violences sexuelles à l’encontre des femmes sont encore banalisées. Le viol est une façon, malheureusement encore, très efficace pour humilier et museler les femmes. La honte se trouve encore du côté des victimes. Elles se sentent sales, dégradées, avilies; tandis que les violeurs lèvent haut la tête et la plupart du temps échappent à la justice. Des maris rejettent leurs femmes, des pères forcent leurs filles à épouser leurs agresseurs, et tout ça au nom de « l’honneur ». En temps de guerre, il est utilisé par les soldats outre les pulsions perverses et morbides, pour terroriser les populations, détruire les familles et pousser les populations à fuir leurs terres. Dans des pays comme le Congo, l’approche a été plus qu’efficace. J’ai étudié dans mes cours d’économie, la malédiction des richesses naturelles et le Congo fait figure d’école incontournable. Le sol et le sous-sol de ce pays sont tellement riches que le géologue Jules Cornet a parlé de scandale géologique. Les bijoux et appareils électroniques dont nous ne pouvons nous passer doivent leur essor aux minerais de ce pays. Essayer de comprendre les guerres au Congo et les viols qui en découlent, c’est remonter au génocide Rwandais et à la dramatique tournure des événements au Congo voisin. Si ce pays si riche est aussi pauvre et désabusé, cela est dû à une combinaison affreuse de la mainmise des pays étrangers et puissances internationales avides de mettre le grappin sur les ressources naturelles; l’indifférence de ces mêmes puissances internationales alors que la mort et l’effroi minent ce qui reste de ce pays, la mauvaise gouvernance et la corruption à l’intérieur même du pays pour ne citer que cela. Si les femmes et les filles sont une proie si facile pour les violeurs, c’est avant tout à cause de leur vulnérabilité. Généralement plus faibles physiquement, il est très facile pour les violeurs de les saisir et de commettre leur acte bestial. Elles sont aussi plus vulnérables psychologiquement en raison des murs des constructions sociale et sociétale. Dans certaines cultures, une femme victime de viol est considérée comme la coupable. Elle se serait mal habillée; aurait été provocatrice dans son langage; aurait été insubordonnée. En plus d’être fallacieux, ces arguments s’écroulent sous le poids de la contradiction lorsque leurs défenseurs sont confrontés à la réalité de cette action. Comment ces arguments peuvent justifier le viol d’une petite fille de 18 mois ? Comment peuvent-ils justifier les viols massifs de femmes âgées ou même dans la fleur de l’âge assises tranquillement chez elles dans leurs villages ? Comment peuvent-ils justifier qu’au bout de leur sauvagerie, des violeurs détruisent entièrement les organes génitaux de leurs victimes en y enfonçant des armes de combat. Les violeurs sont dégoûtants et les tenants d’arguments le justifiant le sont tout autant. La vulnérabilité psychologique des femmes en ce qui concerne le viol est palpable en tant de paix. Elles ont peur d’être prises pour des menteuses ou des manipulatrices. Certaines, dans des cultures proches des nôtres se voient imposer le silence pour éviter de « disloquer » la famille quand le viol est commis par un des membres de celle-ci. Elles ont peur de perdre leur emploi, leur honneur. Combien de femmes ont mis à leurs jours pour espérer enfin arrêter de souffrir et d’avoir honte pour un crime dont elles ont été victimes ? La vulnérabilité psychologique des femmes en ce qui concerne le viol est encore plus palpable en tant de guerre; et c’est là une contradiction qui dépasse l’entendement. Au lieu d’être soutenues par leurs maris, leurs familles, leurs communautés et même leurs pays, ces femmes sont royalement ignorées. C’est le cas au Congo par exemple où des femmes sont excommuniées et où l’État a simplement a fait preuve de déni total face aux viols durant les guerres. Quand le Dr Denis Mukwege a commencé ses études de médecine, son leitmotiv était la facilitation de l’accouchement des femmes et la sauvegarde de leur bien-être physique (et moral) ainsi que celui de leurs bébés. Son expérience des conditions dans lesquelles elles donnaient la vie (inexistence d’infrastructures adéquates, éloignement des centres de santé, états physiques défaillants des femmes en raison des lourds travaux domestiques et champêtres jusque dans les moments les plus avancés de la grossesse, etc.) ont forgé en lui la volonté de venir en aide et de faciliter un tant soit peu cette épreuve. Les dégâts constatés au niveau des organes génitaux des femmes, entre autres à cause de leurs conditions extrêmes de vie et dans lesquelles elles donnent la vie, ont déterminé la suite de la spécialisation médicale du Dr Mukwege. Déjà fort de ses expériences à Lemera au Congo dans de difficiles conditions, il a terminé sa spécialisation à Angers (en France) en gynécologie-obstétrique avec une expertise dans le traitement de diverses fistules qu’il a continué de bonifier et enseigner par la suite. Le besoin flagrant de spécialistes comme lui, lui a fait quitter la France malgré les belles opportunités qui s’y dessinaient pour lui et sa famille. Il est revenu au Congo où il a continué à mettre son expertise au service des femmes de son pays contre une maigre compensation.

Et la guerre a débuté avec son lot de malheurs et d’atrocités.


Credit: Getty images En plus des femmes dont il s’occupait déjà, le Dr. a commencé à accueillir des blessés de guerre quel que soit leur sexe et leurs origines. Les représailles n’ont pas tardé à se faire ressentir. Le Dr a été accusé d’être solidaire de groupes rebelles venant du Rwanda. Son hôpital a été attaqué et n’eût été un heureux contretemps, il aurait péri dans l’attaque. Les blessures aux parties génitales des femmes devenaient de plus en plus brutales, plus écœurantes. Son équipe et lui continuaient d’être à pied d’œuvre afin de sauver leurs vies. Bientôt, un hôpital entièrement dédié à cette œuvre a dû être ouvert à Bukavu, située sur la rive sud-ouest du lac Kivu au Congo. Avant même son ouverture officielle, des centaines de femmes s’y ruaient pour y recevoir des soins. L’hôpital a par la suite connu d’importants développements avec une prise en charge psychologique importante des victimes de viols, un centre d’éducation et de formation à des métiers pour qu’elles puissent reprendre le contrôle de leurs vies, une aile entièrement dédiée aux enfants nés de ces viols. Une des plus grandes tragédies vécues par le Dr et son équipe a été de soigner une victime de viol qui a donné naissance à une enfant issue de ce viol et de recevoir quelques années après cette enfant née du viol, venue elle-même se faire soigner des séquelles du viol dont elle venait d’être victime. Un cercle vicieux et infini.

De nombreuses actions sont entreprises par le Dr Mukwege et son équipe pour la restauration de la dignité de ces femmes, des blessures physiques soignées aux sensibilisations sur la condition féminine en passant des atteintes d’assistance psychologiques au Congo et ailleurs dans le monde. On peut alors se demander comment ses actions sont financées.


Le financement provient de personnes engagées et d’ONG internationales convaincues de l’importance de l’ensemble de ces interventions. Notez que j’ai parlé d’organisations internationales parce que dans son propre pays, le Dr Mukwege ne reçoit pas d’aide de son gouvernement, bien au contraire. Non satisfaits de totalement ignorer les viols massifs et leurs conséquences, les autorités de son pays ont gelé les avoirs reçus par le Dr à sa réception du Prix Nobel de la paix en 2008. Des menaces de mort à peine voilées lui ont été proférées et fin 2012, Le Dr a encore une fois échappé à une tentative d’assassinat à son domicile. Cette fois de trop a ébranlé sa détermination et l’a conduit à se réfugier avec sa famille aux États-Unis avant qu’une belle ironie ne vienne lui faire changer d’avis. Les femmes auxquelles il a dédié sa vie ont battu campagne auprès des autorités, ont siégé à son hôpital en clamant qu’elles donneraient leurs vies pour le protéger et en implorant son retour. Sa place, comme il le dit, est auprès d’elles et il y est retourné à peine quelques mois après, avec l’ensemble de sa famille. Le Dr Mukwege vit dans les murs de son hôpital, protégé par des casques bleus et dans l’anxiété constante créée par le spectre de la mort entre ou en dehors des murs. J’ai beaucoup écrit mais il est clair que ce résumé ne peut absolument pas rendre hommage à « La force des femmes » et à l’homme extraordinaire qu’est le Dr Denis Mukwege. Je recommande très fortement ce livre ainsi que tous les documentaires et reportages sur ces actions (voir quelques liens ci-dessous).

Je finis ce résumé par coïncidence un 8 mars, journée internationale des droits de la femme. Si la femme est si vulnérable et si les violeurs ont encore impunis dans la grande majorité des cas, il faut avoir le courage de regarder le miroir des consciences individuelles et collectives et se poser les bonnes questions. Tant que leurs droits, même les plus élémentaires, seront bafoués; tant que le respect qui leur est dû ne leur sera pas accordé, tant que leurs voix seront étouffées; il est évident que les femmes continueront de subir des inégalités et des atrocités comme le viol en temps de paix comme en temps de guerre. Lorsque je parlais du livre et que j’en partageais des passages, un ami m’a appelée « féministe » avec un ton de rigolade et de dédain. J’ai simplement répondu que l’homme qui a écrit ce livre est également un féministe. Il a refusé de me croire jusqu’à ce que je lui partage l’extrait du livre où le Dr Mukwege l’affirme lui-même noir sur blanc. Pour rectifier le tir, il a ajouté que le Dr pointe du doigt certains faits mais que « j’aggrave l’affaire ». C’est pourtant sans commentaires personnels que j’avais partagé ces passages. Je suis encore perplexe quant aux propos de mon ami. Combien encore préféreront le déni à la réalité ? Combien encore considéreront les droits de la femme comme une nuisance sous toutes les coutures ? De l’individu lambda aux gouvernements des États, c’est une profonde prise de conscience qui doit s’opérer et se matérialiser par des changements concrets. Et à la base de l’amorce des changements, un principe clair et simple : « le respect, rien de moins ». Quant aux personnes sous nos tropiques pour qui le 8 mars est une « fête » et une occasion pour partager des pagnes chaque année : recherchez s’il vous plaît l’origine de la journée internationale des droits de la femme; et au lieu des pagnes, respectez simplement leurs droits. C’est moins coûteux.


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