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Le baptême

Writer's picture: Maeva DoumbiaMaeva Doumbia

Les gens sont arrivés tôt ce jour-là. C’était un matin calme. Le soleil se levait à peine et faisait disparaître dans sa lente ascension l’ombre bleutée de la nuit. Les feuilles portaient encore sur elles des traces de rosée et plus loin dans les arbres, les oiseaux piaillaient toujours asynchroniquement.


La maisonnée s’est activée avant les premières lueurs du jour. C’était un événement important. Des femmes sucraient le lait qui avait été caillé la veille. D’autres faisaient cuire à la vapeur des grains de mil tout en donnant les instructions pour la préparation de la marinade qui servirait à la cuisson des bêtes.


Les bêtes. Il y en avait deux. Deux gros béliers, gros comme la famille n’en avait vu depuis des siècles comme diraient les griots plus tard dans la journée.

Les béliers avaient été importés depuis le Mali. Abdoulaye n’avait pas lésiné sur les moyens pour cette occasion grandiose. Des membres de la famille avaient fait le déplacement depuis le Nord du pays. Ajoutés à ceux qui vivaient dans des quartiers éloignés de la ville et qui avaient pris pour excuse la distance pour séjourner à la maison, notre logement était infesté de monde.


Il fallait nourrir ces gens depuis près de deux semaines maintenant et s’accommoder de leurs besoins incessants et leurs remarques non sollicitées. Mais je devais agir par devoir. Par devoir et par amour.


Alors j’ai pris sur moi de supporter les mauvaises langues, les chuchotements à peine masqués, les regards et sourires narquois. Je me suis investie corps et âme dans l’organisation de cette fête parce qu’elle devait être à la hauteur du statut de mon mari et de sa patience inébranlable dans la recherche de ce qui fait aujourd’hui sa fierté ; la naissance d’un garçon. La naissance de son héritier.


Avoir une fille, c’est bien, mais que vaut elle pour un homme dont le père n’a engendré presque que des garçons. Que vaut une fille devant un garçon lorsqu’un héritage considérable est en jeu et que la survie de la fortune familiale en dépend ? Alors oui, la naissance de Nafi a été un immense bonheur pour son père mais elle ne vaut absolument rien devant l’honneur qui lui est maintenant fait d’être père d’un garçon.


Les hommes se séparaient déjà vers le midi. L’ambiance d’abord solennelle a pris une tournure bon enfant lorsque les frères et amis de mon mari ont commencé à le taquiner sur la paternité et les responsabilités du grand chef de famille qu’il est. Il a appelé l’enfant du nom de son père Amadou, en signe de respect, d’hommage et d’espoir que l’enfant apporte autant de prospérité et d’honneur à la famille que son grand-père l’a fait avant lui.


Le milieu de l’après-midi est le moment de la journée que je craignais le plus. Les hommes s’étant retirés, la place était maintenant faite aux femmes pour qu’elles célèbrent de manière flamboyante la naissance du petit prince.


Appelons les choses par leurs noms, c’est davantage un carnaval où ces femmes se parent de leurs plus beaux atours et se jaugent mutuellement – à qui a le meilleur couturier, qui a l’audace de se parer malgré ses nombreuses dettes, qui n’a pas encore perdu les kilos de sa précédente grossesse – qu’une célébration de la naissance à proprement parler.


J’avais beau me plaindre de l’hypocrisie ambiante et de l’inutilité des grands boubous amidonnés payés à crédit, je n’avais pas le choix que de me mettre au diapason du cirque autour de moi. Je devais être présente, sourire, servir, distribuer des billets de banque neufs et même danser. Je devais agir par devoir. Par devoir et par amour.


Je n’ai pas été séquestrée. Personne ne m’attaché les pieds et m’a mis une arme sur la tempe. J’ai fait confiance à Abdoulaye et j’ai choisi de rester lorsqu’il m’a dit qu’il épousait Anta en secondes noces juste pour avoir des enfants. Nous étions mariés depuis sept ans maintenant et je n’avais même pas eu l’espoir avorté d’une fausse couche. Il fallait, comble de malheur, que je souffre chaque mois de la douleur des règles et du désespoir que je lisais dans ses yeux.


Il est l’aîné de sa famille. Ses frères ont tous eu des enfants – dont des garçons – et sa virilité de même que sa capacité à prendre les commandes du business familial étaient en péril. Son demi-frère Moussa, ennemi à peine voilé de son succès, était en bonne position pour reprendre les rennes des affaires. J’ai vu la détresse de mon mari, j’ai vu sa vulnérabilité, et au-delà des considérations financières et des politiques familiales, j’ai vu son désir brûlant d’être père.


Alors, entre deux lamentations, au milieu des larmes et des écoulements nasaux, j’ai cédé aux promesses de mon mari de ne pas me reléguer au second rang après son remariage et plaise à Dieu, la naissance de ses enfants.


Quatre mois ne s’étaient pas écoulés que sa nouvelle épouse était rentrée dans nos vies. J’avais alors compris qu’Abdoulaye me consolait d’une main et envoyait déjà des messages d’amour de l’autre main. La maison a connu de gros changements depuis son arrivée. Il a refait la peinture, agrandi le jardin et remplacé les carreaux au sol. Les jours entre nous n’etaient pas partagés de façon égale. À quoi cela servirait-il ? Mon utérus était aussi aride que les plaines désertiques. Sur les sept jours de la semaine, elle en avait cinq qu’elle a tellement bien utilisés que bébé Nafi est arrivée avec 4 semaines d’avance.


Mon mari ne fuyait alors plus seulement mon lit, il fuyait mon regard, fuyait ma présence. Les langues se sont alors déliées ; autant pour le féliciter que pour me couvrir d’opprobre. J’ai été accusée de l’avoir retardé dans son ascension, personnelle et professionnelle. Je lui apportais malchance alors que sa nouvelle épouse était une lumière même venant de Dieu.


Alors, ce baptême aujourd’hui d’Amadou renforce ces affirmations et conforte ma belle-famille dans sa conviction qu’Abdoulaye doit divorcer de moi. Les rares soutiens autour de moi se dispersent et mon mari fuit à nouveau mon existence. Je l’aperçois subrepticement en journée et vois à peine son sombre les nuits.


Dans la pénombre de ces longues nuits, on entend les cris lugubres des hiboux et autres créatures de nuit. Je suis rassurée ce soir par le faible croissant de lune qui éclaire mon tapis de prière. J’ai décidé de partir de moi-même. Si je ne peux avoir une existence honorable avec l’homme à qui j'ai offert les plus belles années ma jeunesse, je ne mourrai pas d’affliction dans un mariage avec cet homme que je ne reconnais plus.


Une semaine après le baptême, séchant mes larmes une dernière fois en quittant la salle de prière familiale à une heure tardive, je surprends une conversion qui risque à nouveau de bouleverser le cours de ma vie.


Pensant être seule dans cette partie sombre et isolée de la maison, ma coépouse déclare « On a eu de la chance que Nafi me ressemble même si elle a certains de tes traits. Amadou par contre te ressemble déjà beaucoup. Je ne sais pas si l’excuse de la force du sang de la famille paternelle jouera en notre faveur cette fois-ci ».


S’approchant d’elle pour la tenir dans ses bras et la rassurer, le visage de Moussa éclairé par la lune apparaît et l’instant d’une seconde, je crois voir ses yeux terrifiants rencontrer les miens.

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