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Le dernier automne

Writer's picture: Maeva DoumbiaMaeva Doumbia

Les feuilles une à une se détachent des arbres et se laissent ballotter par le vent avant d’atterrir sur le sol nu et humide. Les moments d’accalmie ne durent jamais longtemps. Ils sont rapidement suivis de pluies diluviennes qui viennent forcer les feuilles récalcitrantes à quitter avec violence les branches auxquelles elles étaient attachées depuis les prémices du printemps. Mes moments les plus précieux sont ceux que je passe à tes côtés à regarder la nature suivre son cycle perpétuel. Prendre mes aises et humer ce thé chaud que je tiens dans mes mains en gardant ma tête sur ton épaule. Et là sur ce balcon, avec pour seul bruit le son de la pluie qui tombe et les fréquences sonores des battements de nos cœurs, je trouve ma paix. 22 ans c’est jeune, nous avait-on dit. Se marier durant les études c’est compliqué, nous avait-on dit. Vous n’êtes pas assez matures, vous n’avez pas suffisamment de moyens, vous feriez mieux d’attendre, vous avez toute la vie devant vous. En un sens, ils n’avaient pas tort. Nous terminions fraîchement nos diplômes de maîtrise et survivions à peine individuellement avec les maigres salaires des petits boulots. Il fallait gratter les petites portes en attendant que les grandes s’ouvrent. Mais pourquoi attendre si nos forces combinées pouvaient déjà améliorer nos situations ? Nous étions jeunes mais la vérité était là, sous nos yeux. Il ne s’agissait pas d’un amour d’adolescents, fruit de l’impétuosité de la jeunesse et de la fougue des hormones. Nous avions dépassé ce stade. Le monde n’avait de sens que lorsque nous étions ensemble à planifier avec force et raison la vie qui nous attendait avec ses chemins tortueux. Nos vies n’étaient colorées que lorsque nous étions l’un avec l’autre, dans nos gestes, dans nos faits, dans nos pensées. Pourquoi attendre ? Nous nous sommes donc mariés à 22 ans sous le regard médusé des uns, et désapprobateur des autres. Le temps nous a donné raison. Les portes se sont ouvertes à nous avec plus de rapidité et de facilité que prévu. C’est dans les bras de l’un et dans les oreilles de l’autre que nous avons crié nos joies à l’obtention de nos nouveaux emplois et nos vies auréolées de succès. Je regarde le soleil se coucher ce soir. Le cycle se perpétue. Les feuilles quittent les branches pour finir au sol après avoir tournoyé comme des derviches tourneurs. Le calme avant la tempête. Je ne bois pas de thé ce soir. Mes mains tremblantes ne peuvent tenir de liquide chaud et ma tête n’a pas d’appui pour se reposer. J’aurais préféré que tu me quittes autrement. Ils avaient raison en partie. Nous étions trop jeunes. Je n’ai pas la force à 24 ans de supporter cette douleur. Je ne te pensais pas capable de mener cette double vie. Tes voyages n’étaient donc que des prétextes ? Je tremble de douleur en réalisant que je n’ai appris tout ceci qu’au moment où tout espoir était inutile. Cet appel d’un hôpital étranger, les mots percutants du médecin me disant que ta bataille contre le cancer tirait à sa fin. Quel cancer ? Depuis quand ? Tout faisait sens à présent et à ton chevet, je n’ai pu entendre que tes derniers mots de tendresse. Je suis dévastée de t’avoir perdu et totalement effondrée d’avoir été tenue à l’écart de cette bataille. Comme les autres, nous aurions pu la mener ensemble. Je ne perds pas que mon époux. Je perds le sens de ma vie. Je suis l’arbre qui est dépouillé de ses feuilles en automne. Mon cycle ne reprendra pas. Au prochain printemps, aucune autre feuille ne poussera. Ta chaise sur ce balcon restera à jamais vide et c’est sur elle que je m’effondrerai pour te rejoindre lorsque la douleur de mon âme aura atteint les derniers battements de mon cœur.

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