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Hinda

Writer's picture: Maeva DoumbiaMaeva Doumbia

Updated: Apr 13, 2020

Elle faisait penser à une princesse des mille-et-une nuits. Sa posture renvoyait à l’image d’une femme mûre, expérimentée dans l’art de donner des ordres. Dans sa robe noire serrée sous son buste avec cette fine ceinture argentée, elle était éblouissante ; envoûtante.

Entourée des épouses de vizirs et autres dames de la haute bourgeoisie persane, elle supervisait le service des desserts. Une main dans un sens, puis dans l’autre, elle donnait des directives aux petites servantes chargées de plateaux aussi lourds que leurs accoutrements de circonstance.


Hinda arborait la mine figée de circonstance. Dans le palais d’Azadeh, il ne faut montrer ni signe de bonheur, ni signe de douleur. Les esclaves comme elle ont été forgées dès l’enfance à assurer la félicité de la princesse Azadeh et à s’attirer ses bonnes grâces. Leur existence consiste à donner de la satisfaction, mais pas d’en acquérir. Elles ne vivent que pour assurer le contentement de la princesse et des autres femmes de la cour royale.

Pourtant, les relations entre Hinda et Azadeh n’ont pas toujours suivi cette trajectoire rectiligne. Durant leur enfance, la princesse et son esclave se portaient mutuellement une affection des plus fraternelles. Azadeh partageait ses jeux et précieux cadeaux avec Hinda, qui de son côté endossait les fautes de la princesse pour lui éviter de se faire gronder. Même au début de leur adolescence, où les responsabilités d’esclave devenaient plus lourdes pour la fille de la cuisinière ; et période d’apprentissage des règles de bienséance royale pour la princesse, les deux jeunes filles partageaient leurs moments de répit à deux, entre lectures et confidences.

Il ne faut cependant pas faire croître l’herbe sur le chemin de l’amitié.


À seize printemps déjà, Azadeh affichait les prémices de la beauté remarquable héritée de sa défunte mère. Les courtisans affluaient depuis les royaumes de Mésopotamie ou de Babylonie voisins. Tous tentant désespérément de redorer l’image de leurs couronnes en contractant une entente politique, et en assurant un lignage on ne peut plus noble à leur descendance, à travers un mariage avec la fille du puissant Farrokh. Un seul cependant attirait l’attention d’Azadeh, tant il semblait désintéressé d’elle. Ehsan ne levait jamais les yeux lorsqu’il était en sa présence. Elle se trouvait stupide de forcer la conversation alors qu’il semblait continuellement garder le silence. Elle se trouvait puérile d’accorder tant de soins à sa toilette lorsqu’il devait accompagner son père pour rencontrer le sien. Elle se trouvait idiote, et dépossédée d’elle-même. Elle avait honte de ce qu’elle devenait. Elle avait honte d’aimer.


Elle partageait ses troubles avec sa préceptrice Manahé qui la rassurait autant que faire se peut. Manahé plus longue que grande, le front rebondi et les lèvres plissées de jalousie. Elle avait toujours tenu une aversion inexpliquée pour Hinda, cette jeune esclave qu’Azadeh aimait plus que sa fille à elle. Après tout, sa fille n’était-elle pas plus digne d’obtenir l’amitié de la princesse que cette sotte descendante de cuisiniers ? Le prince est arrivé, le mal a germé, et la perversité s’est emparé du cœur de Manahé. Au retour d’une énième tentative d’Azadeh visant à attirer l’attention du prince Ehsan, Manahé s’empressa de la rejoindre en lui relatant des faits qui stupéfiaient sa propre imagination : « J’ai consulté le devin Junafeh. Il n’y a aucun doute sur la question maîtresse, c’est votre esclave, la jeune Hinda qui est à l’origine de vos malheurs. Elle dégage de mauvaises auras. Son étoile empêche la vôtre de briller davantage. Tant que vous ne débarrassez pas d’elle, le prince Ehsan ne s’intéressera jamais à vous. »


La préceptrice réussit à convaincre la jeune Azadeh. Le mal a germé, et la douleur de l’amour a conduit Azadeh à approuver l’ignominie. Le plan serait de l’emmener à une course de chevaux, et de la convaincre de monter ces bêtes dont la sauvagerie lui faisait si peur. Elle ne refuserait pas d’obtempérer à une troisième demande de la princesse. Et agacé par sa maladresse sur son dos, l’animal finirait par la projeter sur le sol, faisant d’elle ou une handicapée ou une nouvelle habitante du cimetière d’Ispahan.


Torturée par sa propre conscience, la princesse ne faisait que retarder cette sortie printanière. Le temps passé avec son alter-ego, son amie, « son » Hinda ne faisait qu’accroître son dégoût d’elle-même. Peu importait cet amour viscéral qu’elle éprouvait pour le ténébreux Ehsan, il n’était pas question qu’elle laissât ce sentiment devenir la mauvaise herbe qui ruinerait son amitié avec Hinda, et encore moins son intégrité morale. En voyant Hinda diriger avec tant de dévouement et de grâce cette soirée mondaine, elle se rendit compte de l’incroyable chance qu’elle avait d’avoir comme amie, cette jeune esclave méprisée de tous. Son choix était fait, et il était celui de l'amitié. Ce soir après le départ des invitées, elle prendrait Hinda dans ses bras, lui demanderait de se méfier de l'incrédule Manahé, et lui jurerait protection et sécurité.


Dans ses petites sandales de daim, le buste altier, la tête haute mais humble, Hinda dirigeait le retrait des couverts. Une main dans un sens, puis dans l'autre, elle s'assurait que ses subalternes exécutassent avec soin les protocoles du service.


Elle partagera après quoi son repas dans les cuisines entourée d'esclaves comme elle.

Elle pensera à ce que la princesse voulait lui dire de si important avant d'être interrompue par les adieux interminables des dames de la haute bourgeoisie.

Elle portera enfin à ses lèvres le sorbet empoisonné que lui offrira Manahé, le front rebondi et les lèvres plissées en un sourire forcé.




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