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Omar (1)

Writer's picture: Maeva DoumbiaMaeva Doumbia

C’était la période des vacances. Notre maisonnée, de même que celles aux alentours, connaissait le moment le plus calme de la journée. Les enfants étaient forcés à entamer la sieste de l’après-midi, tandis que les adultes se délectaient de boissons fraîches après des déjeuners toujours plus copieux que prévu.


Dans la chambre que nous partagions avec mes cousines, l’heure était aux confidences. Ama et Chantal racontaient les déboires amoureux de leurs camarades. Les détails qu’elles fournissaient étaient un peu trop structurés pour des personnes qui clamaient incessamment qu’elles ne s’intéressaient pourtant jamais à la vie des autres. Justine, perchée sur la partie supérieure du lit superposé et qui faisait mine de ne rien écouter, saupoudrait pourtant la conversation de remarques très sarcastiques lorsque les détails devenaient croustillants.


Mon attitude était à l’extrême de celle de Justine. Je réagissais fort au commérage de mes cousines, j’exigeais plus de précisions à chaque nouveau racontar, je faisais valser mes yeux à chaque rebondissement de colportage sordide qu’elles ponctuaient çà et là d’histoires totalement sans rapport ; mais mon esprit était définitivement ailleurs. Voilà deux semaines que j’avais donné mon numéro à Omar et il ne m’avait toujours pas rappelée.


J’avais eu le courage de lui envoyer le premier message. Une blague sur la conversation que nous avions eu lors de notre première rencontre. Il avait répondu de manière si enjouée que je m’attendais à le lire ou à l’entendre le lendemain. J’ai ensuite attendu le surlendemain, puis le jour d’après, puis le jour suivant. Deux semaines plus tard, je n’avais toujours pas de nouvelles de lui. Ma timidité, surplombée par mon orgueil de femme me retenait de le lancer à nouveau. Mais mon cœur, cet organe traître et impétueux ne cessait de s’alourdir dans ma poitrine et m’adjurer d’essayer à nouveau. Il me chuchotait « montre seulement que tu es disponible, de manière subtile ! Qui ne tente rien n’a rien ! Il ne sait pas que tu t’intéresses à lui, lance seulement le bout de l’hameçon et tu verras qu’il y mordra à pleines dents ». Il n’avait pas tort.


Après avoir enduré les ragots de mes cousines et l’indifférence factice de Justine, j’ai feint le sommeil pour avoir la paix. Lasses de parler dans le vide, Ama et Chantal se sont retirées de la chambre et Justine a sombré dans une sieste qui était partie pour durer des heures. Le cœur battant et les doigts tremblants, j’ai envoyé ce « Salut l’étranger !» qui allait relancer notre conversation et mener au point que je cherchais à atteindre.


Omar étudiait à Londres et était venu à Abidjan pour ses vacances. Je me suis éprise de lui à la minute où je l’ai vu arriver avec François, le soi-disant ami de Justine. Elle se mentait à elle-même en nous disant qu’elle ne ressentait rien pour lui, mais il eût fallu être aveugle pour ne pas remarquer comment elle le dévisageait goulûment. Je ne m’y attardai pas. Justine a cette facilité déconcertante de vivre entièrement dans le déni.


Omar a expliqué sa disparition soudaine après nos premiers messages par les visites innombrables qu’il devait effectuer à sa famille. C’était la routine lors de ses séjours à Abidjan. Aller saluer des oncles et tantes qui n’avaient en réalité cure de son existence. Pression familiale oblige ; il devait s’y plier.


Le sprint des salutations passées, nous convînmes de nous rencontrer. Il fallait être discret. Ça alors commencé par des rencontres de groupe. Il demandait à François de lui « montrer la ville » et je demandais à Justine de demander conseil à François pour les bons plans d’Abidjan. Nous nous retrouvions à six, avec Ama et Chantal qui avaient le don de mettre de l’ambiance partout où elles se trouvaient. Il ne fallait bien sûr pas compter sur Justine pour détendre l’atmosphère ; elle en aurait été totalement incapable.


À mesure que les semaines passaient, les rencontres devenaient plus privées. Notre « amitié » n’était plus à démontrer et il devenait plus facile de se voir sans inventer d’excuses. Un mois et demi après son arrivée, Omar et moi étions devenus inséparables. Ma mère voyait cette amitié d’un mauvais œil. Omar avait 25 ans et je venais de fêter mon dix-huitième anniversaire. Je me cachais d’elle pour le rencontrer. Je n’allais jamais chez lui pour éviter le regard de ses parents. J’adorais le fait qu’il me protège d’eux en attendant que je sois prête à les rencontrer. Alors, quand les rendez-vous dans des fast-foods ou sur les plages sont devenus trop publics ou trop bruyants pour lui, j’ai accepté de le suivre dans les maisons, les appartements, puis les chambres de ses amis.


Mais le temps passait, et les vacances venaient à échéance. Dix semaines s’étaient déjà écoulées. Omar devait retourner à Londres et j’avais des valises à préparer pour rejoindre l’Université de Montréal au Canada. J’avais fêté la nouvelle avec lui la veille. Le consulat m’avait demandé de leur envoyer mon passeport, confirmant mon succès à la recherche du visa étudiant. Le lendemain pourtant, sur le chemin qui nous y menaient, ma mère a reçu un appel de l’hôpital où j’avais effectué ma visite médicale. Il se trouvait à cinq minutes du consulat. Nous décidâmes d’y faire un stop avant de poursuivre notre journée.


Le médecin ne fit pas de faux-fuyant et placarda sans tâtonnement le test de prise de sang qui indiquait ma grossesse. C’est un « détail » qui leur avait échappé et qui devait faire l’objet d’une correction auprès du consulat. Mon état compromettait évidemment mes chances d’obtenir le visa mais c’était le cadet des soucis de maman. La gifle retentissante qu’elle m’a administrée m’a littéralement fait valser à l’autre bout du bureau du médecin.


Elle n’eut pas besoin de me menacer pour que je lui donne le nom de l’auteur de ma grossesse. Elle a immédiatement appelé Justine pour avoir le numéro de François et connaître l’adresse d’Omar.


Nous y avons débarqué, elle devant, le souffle entrecoupé et les yeux injectés de sang ; moi derrière, tenant à peine sur mes jambes et encore sonnée par la bastonnade qui a suivi la gifle dans le bureau du médecin.


L’appartement était calme et les murs extérieurs sentaient encore la peinture fraîche. Sur le troisième coup de sonnerie appuyé de maman, la porte s’ouvrit sur une jeune fille aux mains noircies de henné. Elle nous indiqua sourire aux lèvres, que l’homme que nous cherchions à voir, Omar son mari, ne rentrerait de ses courses qu’à la tombée de la nuit.

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