Une si longue lettre, Mariama Bâ
- Maeva Doumbia
- Aug 13, 2020
- 3 min read
Si vous avez déjà lu « Une si longue lettre » de Mariama Bâ, relisez-le. Si vous ne l’avez jamais lu, mais diantre qu’attendez-vous ?
Pour les personnes qui s’intéressent à la littérature africaine, ce livre est un pur classique, un incontournable. « Une si longue lettre » n’est plus à présenter. C’est un chef d’œuvre complet. Mariama Bâ nous entraîne au Sénégal dans les dédales du cœur et de l’esprit de Ramatoulaye, la protagoniste principale du livre.
Nous sommes au soleil des indépendances des pays colonisés par la France. Au Sénégal comme ailleurs, on fête la « liberté retrouvée » autant qu’on envisage avec enthousiasme, mais avec prudence l’avenir. Les années post-coloniales ne sont pas sans heurts et on assiste à l’émergence d’une génération qui a les pieds dans les traditions et la tête dans le nouveau monde. Les aspirations sont hautes, louables; les réalités persistent, tenaces, brutales. Cette nouvelle génération se cherche, et joue à un jeu d’équilibriste : garder son identité culturelle et lutter pour un changement à tous les niveaux de la société : politique, économique, social et sociétal.
Penser au développement des régions, améliorer les conditions des systèmes sanitaires et éducatifs, casser le machisme et permettre une meilleure représentation des femmes dans la sphère politique, endiguer la corruption et veiller à préservation de saines mœurs. Et au milieu de ce capharnaüm, maîtriser son cœur et le préserver des douleurs de la trahison.
Voici le chaos dans lequel nous retrouvons Ramatoulaye. Mariée à l’amour de sa vie, envers et contre tous, voici qu’elle apprend après 25 ans de vie commune que ce dernier a épousé une autre femme. Oh, douleur. Sans prendre la peine de lui faire connaître ses intentions de remariage, Modou Fall envoie une piètre délégation à son épouse, le jour même de son mariage pour la mettre devant le fait accompli. Oh, consternation. Réaliser qu’avec le poids des années, l’usure du temps, les aléas monstrueux de la vie, on continue d’aimer avec ardeur ce premier amour, qui lui, se repaît dans de jeunes bras soyeux.
Ramatoulaye écrit. Écrire libère, écrire console. Elle évoque dans sa lettre à son amie, les souvenirs de leur jeunesse, les combats menés pour convaincre les familles si conservatrices à accepter leurs mariages. Si Ramatoulaye a trouvé en elle la force de rester, son amie Aïssatou a elle, divorcé d’un mari qui a lui aussi succombé à l’appel d’une seconde épouse. Ah, rester. Rester malgré le courroux des enfants qui ne comprennent pas ce choix alors qu’ils vous voient vous noyer dans les profondeurs de la souffrance. Rester alors que votre époux, l’être aimé, celui pour qui vous vivez, celui pour qui vous auriez sacrifié père et mère, vous montre et vous démontre clairement que vous ne l’intéressez plus. Rester alors que vous êtes abandonnée avec vos douze enfants. Rester jusqu’à ce qu’on vous annonce son décès, loin de vous, cinq ans après ses secondes noces.
Ramatoulaye écrit à son amie au loin. Elle se décharge et se recharge en émotions. On peut lire dans ce livre qu’une vraie amitié contrairement à l’amour se renforce avec le temps. Au lieu de céder aux intempéries, elle se consolide, se raffermit, s’embellit.
On ne choisit pas qui on aime. L’amour s’impose à vous et vous le vivez intensément avec ses hauts et ses bas. Vous assumez tête debout vos choix et avec eux, autant les victoires que les pires défaites. L’amour ne recherche pas la perfection. Il s’accommode des imperfections et avec douceur tente de les corriger. L’amour est loyal. Mariama Bâ décrit à travers Ramatoulaye les piètres excuses de certains hommes lorsqu’ils souhaitent épouser une femme en plus de celle(s) qu’ils ont déjà. Elle décrit leur fourberie, leur lâcheté, leur déloyauté. Elle décrit brillamment la douleur des femmes, la piqûre atroce de l’oubli et de la trahison. Et pourtant, Ramatoulaye garde un flamboyant espoir. Elle nous enseigne que l’important est de rester fidèle à soi-même qu’importe les vicissitudes de la vie. Ne pas perdre espoir en soi ou en l’être humain. Patienter, activement, dans la recherche de l’amour.
Comme lire est synonyme de voyage, on entrevoit le système de mariage et les dures lois de castes au Sénégal. L'avidité de certaines femmes, la rapacité de certains hommes. Le dur métier de mère et l'adaptation à une société en pleine évolution.
Pour ce qui est du style d'écriture, j'adore l'emploi de la première personne du singulier. Je le trouve plus personnel et plus apte à convoyer les émotions. En ce qui concerne la trame, on se laisse entraîner facilement à travers les pages. Un roman qui se lit comme une poésie. J'ai hâte de lire « Chant écarlate » de la même auteure.
Je ne rendrai jamais assez suffisamment hommage à cette perle. Déjà deux ou trois lectures et l’émotion est toujours si vive. Si vous avez déjà lu « Une si longue lettre », relisez-le. Si vous ne l’avez jamais lu, ai-je besoin de répéter qu’il faut absolument le lire ?
Comments