Douleur et consternation.
Comment survivre à la perte d'un être cher ? Comment affronter les jours qui se lèvent et nous laissent pantois, vidés de toute foi que l'on avait en la vie ?
Les jours se succèdent et la béance de la douleur s'intensifie. Certains consolateurs vous diront "c'est la vie, ça va aller, courage !"
Mais où trouve-t-on le courage lorsque l'être aimé, cause et conséquence de notre courage, n'est plus. On ne veut plus parler à personne.
Les consolateurs deviennent indésirables parce que leurs mots en rajoutent à la douleur.
"C'est la vie" ?! Comment vivraient-ils eux, si une partie de leur âme leur était arrachée ?
Colère. De la douleur on passe à la colère. On en veut à la vie de s'être une fois de plus jouée de nous. On lui en veut de nous avoir fait miroiter le bonheur, ce goût de paradis sur terre, avant de tout nous arracher sans crier gare. On en veut à ceux qui disent "ça va aller" sans savoir que le moindre battement de cils devient fastidieux quand l'être aimé nous a quitté.
On s'en veut à soi-même d'être si impuissant face à la survenue de la mort et à la désolation qu'elle laisse derrière elle. On culpabilise de rire, de bien se porter, de profiter de la vie alors que là-bas ailleurs, sous terre ou sous la mer, gisent les dépouilles de personnes qui signifiaient terre et ciel pour nous.
Vient après l'étape de l'acceptation. Cette étape où l'on s'avoue vaincu. Cette étape où l'on comprend que certaines choses sont au dessus de nous et que même avec l'aide de l'humanité entière, il est de ces choses que nous ne pouvons changer. On accepte de laisser nos aimés partir, sachant qu'il faut avancer nous seulement pour nous, mais aussi pour les personnes qui comptent sur nous en cette vie, et pour ceux même enfouis dans les pénombres de la terre ou de la mer, attendent de nous de donner le meilleur de nous-même et de rendre réels les murmures des belles ambitions que l'on s'était chuchotés dans des confidences sucrées. "Immortels les aimés!"
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On, on, on...Il s'agit de Coumba. Coumba a perdu son mari dans le naufrage du Joola le 26 septembre 2002.
Fatou Diome nous entraîne sur fond de lyrisme et de symbolisme à travers le veuvage de la jeune femme là-bas à Niodior dans le Sine-Saloum.
Pour des lecteurs non-avertis, les premières pages peuvent se reveler difficiles à lire en raison du lyrisme poussé dans les premiers chapitres.
Seulement, on pourrait en fait comprendre qu'il peut s'agir là d'un très beau symbolisme. On peut en fait y lire, la détresse de la veuve, la lourdeur du coeur d'avoir perdu une partie de lui-même et l'impatience de celui qui console. Coumba n'a plus de mots. Elle ne répond aux gens que par des "hum-hum". Sa belle-mère et les autres villageois s'impatientent et l'accuse d'en faire trop et de devenir folle. Sa folie, elle ne la vit que pour elle-même. Sa mère solide comme un baobab mais avec un coeur fragile comme un roseau essaie de la protéger contre la douleur et contre le mariage que l'on veut lui imposer avec son beau-frère après la période la viduité.
Fatou Diome nous entraîne dans le mysticisme des nuits niodioroises. Musulmane, Coumba s'adonne pourtant à l'animisme en invoquant Sangomar, sorte de divinité qui veille sur les esprits des ancêtres et des naufragés. Les villageois, à cause de son silence continue, la traitent de folle. Folie ? Ce sont eux qui sont fous ! Comment expliquer aux gens qu'elle voit des esprits ? Comment leur dire qu'elle parle aux morts et qu'ils lui laissent des messages ? Elle voit et entend ce qu'ils ne peuvent ni voir ni entendre. Puis, à force de persévérance dans ses incantations à Sangomar, elle arrive à voir Bouba son défunt époux qui la convainc de poursuivre sa route et de vivre pour leur fille Fadikiine.
On apprend en lisant ce livre, le contexte de ce terrible naufrage qui a coûté la vie à 1863 personnes selon les statistiques officielles.
On apprend sur les négligences et les failles du système.
On apprend sur la culture Sérère au Sénégal, ses traditions et sa religion.
On apprend sur la nécessité de garder ses racines africaines tout en ouvrant les bras à d'autres cultures.
On apprend qu'à Niodior ou à Marseille, on est avant tout humains.
Finalement, on lit la vie dans "Les Veilleurs de Sangomar".
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